UN PEU D'HISTOIRE *Quelles sont les origines du Tango ?
L'origine du tango est incertaine. C'est une musique de la zone, native des faubourgs miséreux, issue du monde trouble des déclassés, de l'amalgame hétéroclite d'une population mi-rurale, mi-urbaine. Le tango apparaît simultanément de part et d'autre du Rio de la Plata. Né d'un croisement, il absorbe tout ingrédient à sa portée : le Noir et le Blanc, l'Américain et l'Européen. On ne connaît pas l'origine de son nom auquel on prête différentes étymologies.
Pour les uns, le tango désigne le tambour ou tam-tam des Nègres; pour les autres, le mot vient du verbe africain « tang » (toucher) ; ou bien du vieil espagnol « tangir » (jouer d'un instrument);ou encore du « tanguillo » andalou (toupie que l'on fait tournoyer à l'aide d'un fouet).D'autre part, on raconte qu'il existait dans le Mexique colonial une danse de couple appelée elle aussi tango.
Une apparition mal cernée, un nom à l'origine controversée, l'évolution du tan-go est néanmoins connue. Son histoire, tout le monde la raconte : elle est plus ou moins authentique.
Peut –être le tango est il passé des berges orientales du Rio de la Plata aux bas quartiers de Buenos Aires. Les hommes de deux rives faisaient assaut du titre de noblesse sur le tango, les deux capitales se targuaient d'en être le berceau.
Le tango naît entre Montevideo et Buenos Aires, à la périphérie des deux villes, au sein du bas peuple, là où loge la tourbe de la canaille. Les prostituées le dansent avec les truands, les proxénètes, les hommes de main et les vauriens.
Le "gaucho" a quitté son patelin pour la bourgade. Il est descendu de son cheval et marche d'un pas tranquille le long des rues de terre bordées de constructions basses et de murs en pisé. Habillé comme un paysan — culotte bouffante, béret et espadrilles —, il côtoie les "jolis cœurs" qui eux portent des pantalons ajustés et des chapeaux à bords relevés ; il cohabite avec les "gallegos" (appellation qui englobe tous les Espagnols), avec les "tanos" (nom donné aux Italiens), avec les immigrants installés qui exercent toutes sortes de métiers. Là, parmi les taudis des faubourgs, quantité d'hommes seuls déambulent en quête de consola¬tion. Bouis-bouis et bordels la leur offrent. C'est dans cette atmosphère lourde imprégnée d'odeurs fortes, de la fumée des fours et des cigares que surgit le tango, fils de la "milonga" — mot africain qui en langue bunda signifie "palabre" et qui dans le parler du Rio de la Plata désigne une danse d'origine noire.
A Montevideo, on prétend que le tango a couvé dans les académies. C'est ainsi qu'on appelait, à l'époque, les entrepôts débits de boissons où des bals publics étaient organisés. Le tango serait issu de l'académie de San Felipe où se retrouvaient "jolis cœurs" et danseurs noirs. Des danseuses, attachées à l'établissement, étaient payées à la danse. Une seule exigence : qu'elles dansent bien et sans répit. Sur leurs jupes amidonnées et bouffantes, elles arboraient une jupette, afin de mieux manœuvrer dans les figures.
Le tango naît également dans les abattoirs du sud de l'Argentine, entre gens de couteaux et de lupanars. C'est d'abord une danse canaille exécutée par les gouapes des faubourgs, un défi lancé par des "machos" querelleurs, une bravade de viveurs et de rufians ; il devient par la suite la plainte de l'âme en peine, celle de l'amant délaissé, une lamentation mélancolique sur ce que le temps efface, sur ce qui ne reviendra plus. Le tango est presque toujours plaintif et nostalgique. Il peut être rancunier, satirique, sarcastique, teinter d'humour son mécontentement et son désespoir, dissimuler son angoisse sous le masque de la dérision mais n'a pas grand-chose à voir avec un présent heureux, l'euphorie de la fête, l'effusion hilare. À la différence de la musique afro-américaine, le tango est plutôt grave, retenu, acerbe.
Il dit ce qui attriste, les déboires que le destin inflige, il exprime le mal de vivre, et chante ce qui est perdu à jamais. C'est pourquoi Enrique Santos Discépolo (l'un des ses plus grand parolier) le définit comme « une pensée triste qui se danse ».
Le tango, comme nul autre genre, transmet ce tempérament fait de cafard, de rage et de facétie, toutefois douloureusement retenus. Sans doute le tango véhicule-t-il quelque chose de cela en tant que produit du Rio de la Plata.
Ses créateurs lui ont insufflé le tempérament local, l'esprit de la ville qui l'a vu naître. Mais le tango comme le jazz — surgi à la même époque et diffusé de façon comparable — ne sont plus des musiques vernaculaires. Même si on peut localiser leur apparition, on ne peut les réduire à de simples produits autochtones. Ils font partie de notre patrimoine à tous dès lors que l'on est séduit ou ému.
* Extraits de la présentation du livre "Tango, une anthologie" de Henri Deluy et Saúl Yurkievich,
livre que nous recommendons à tous ceux qui veulent connaître en français, les textes des tangos les plus connus.